Lorsque j’ai ressenti la nécessité de porter sur Verdun le regard du photographe que j’étais devenu, je suis allé dans des lieux dont j’imaginais qu’ils étaient vides. Or, j’ai constaté  rapidement que je posais mes pieds sur des empreintes d’hommes. J’ai cherché à lire ces empreintes et parfois des visages me sont apparus, comme s’ils m'interdisaient de détourner le regard.
J’ai soigneusement construit mon projet et quand il a été prêt, je me suis mis à l’œuvre. Mais je n'ai finalement jamais été maître du sujet, c’est lui qui m’a conduit, du début à la fin.

Comme le dit Christian Bobin, je n’ai pas cherché l’intelligence mais à ressentir ce qui est déterminant dans mon incarnation. A l’écart de l’agitation et de la foule, j’ai trouvé le silence qui permet de regarder et de sentir.

J’ai juste cherché les outils les plus pertinents. J’ai choisi de travailler en couleur pour m’écarter des photographies d’époque et éviter la tentation de réinvestir les univers magnifiques de quelques confrères.

La rédaction de ces quelques lignes m’a conduit à relire Le regard pensif de Régis Durand à propos de "l'inconscient de la vue", puis L’imaginaire d’après nature de Henry Cartier Bresson.
Et au milieu de ces réflexions un peu compliquées, une conversation m’est revenue ; c’était il y a quelques mois, à Paris, sur le Pont des Arts, j’avais une discussion sur la photographie avec Willy Ronis, en conclusion, le regard au loin, l’articulation lente et appliquée, il me cita le Talmud : « Nous ne voyons pas les choses telles qu’elles sont, nous les voyons telles que nous sommes ».